. Résumé: Job, travailleur migrant, s’identifie de façon imaginaire aux traits chrétiens pour se faire une place avec son savoir-faire d’artisan en Belgique. Ce Migrant travailleur, après un passage à l’acte, rencontre dans les entretiens préliminaires un certain
remaniement de son symptôme, moins ravageur avec l’autre.
. Mots clés: sujet contemporain, Réel du travail, migrant travailleur, passage à l’acte et savoir-faire.
. Abstrcact: Job, a migrant worker, identifies in an imaginary way with Christian traits in order to create a position for himself in Belgium based on his know-how as a craftsman. After an instance of acting-out this migrant worker achieves in preliminary conversations a certain reshaping of his symptom, making it less devastating for others.
. Key-words: contemporary subject, Real of work, migrant worker, acting-out, know-how
. Resumo: Jó, migrante trabalhador, se identifica de maneira imaginária aos traços cristãos do outro para constituir um lugar com o seu saber-fazer de artesão na Bélgica. Este Migrante trabalhador, após um passage ao ato, encontra em algumas entrevistas preliminares um certo remanejamento do seu sintoma.
. Palavras chaves: sujeito contemporâneo, Rel do trabalho, migrante trabalhador, passage ao ato e saber-fazer.
. Depuis 2002 nous assistons en Belgique à un mouvement migratoire assez important de Latino-américains. Le dérèglement des Etats au niveau du travail en est probablement la cause principale. C’est ce qui a poussé quatre psychanalystes, latino-américains aussi, à travailler en cartel .
. Par téléphone Job m’annonce : « eu sou o X. O rapaz que levou um tiro na cabeça. Não sei si o senhor já escutou falar de mim ? ! ! »
C’est un Brésilien de 34 ans, Job, qui travaille dans le bâtiment. Depuis « l’accident », - qui l’a privé d’un l’œil -, deux mois ont passé. Au premier entretien, avant que Job ne commence à parler, j’interviens : « j’imagine que vous êtes venu en Belgique parce vous aviez un projet ? ! !».
. « Ah ! oui ! ! Docteur . En effet, … » Job sourit. Il raconte lors le travail qu’il effectuait avec son père quand il «était enfant dans une fermette à l’intérieur du Brésil. Son projet, dit-il, est d’avoir de l’argent pour acheter et exploiter un lopin lui-même. Il dit que son père est mort d’épuisement dans les champs : « mon père n’a pas écouté l’avis du médecin qui disait qu’il fallait faire attention à son cœur. » Job travailla aussi comme artisan-cordonnier, puis comme commerçant en chaussures jusqu’à la faillite de sa petite entreprise. Il vend sa maison ; paye ses dettes puis migre . Il travaille un an en Belgique. Il repart au Brésil et essaie de redémarrer son affaire. Suite à un autre échec il revient en Belgique.
. Ici, il occupe d’abord diverses fonctions dans le domaine du bâtiment. D’emblée, il aura une activité dans laquelle on peut supposer que quelque chose de l’ordre d’un savoir faire s’est constitué : le plâtre. Depuis deux ans Job ne travaille que comme ce qu’on appelle ici un « plafonneur ». Plafonneur est un sorte de belgicisme car il désigne celui qui travaille avec le gypse façonnât murs et plafonds confondus. Il organise et coordonne une équipe ayant jusqu’à huit personnes en tant que maître de chantier. Ainsi, il m’a dit dès la première entretient : « l’agence bancaire qui est en face de chez vous, c’est moi qui y ai fait le plafonnage ; mon équipe et moi ». Et, puis, il ajoute : « mon travail intéresse le Roi ».
. Job croit. Il croit qu’avec l’aide du Roi Albert II il aura un permis de travail. Ainsi, il pourra mener à terme son projet. Depuis ce qu’il appelle « l’accident », sa femme a doublé les heures de ménage en nettoyant des bureaux pendant la nuit. Job est angoissé. Le sentiment d’impuissance l’envahit. Il dit alors qu’il ne boit plus et qu’il ne fume plus depuis son accident. Avant, il allait tout les jours au café, le soir, pour boire avec les copains. « maintenant, je ne bois plus. Je vais au café voir mes amis et je bois du coca ou de l’eau. Et il ajoute : « J’ai envie de recommencer à travailler ».
. Pour cela Job sut se laisser prendre dans un réseaux constitué par un avocat « Dr. Pedro » ; une assistante sociale « Marie » ; des médecins de l’Hôpital Saint Pierre comme le neurologue « Dr Michel » auxquels il fait confiance vraisemblablement. Désormais, il fait aussi partie d’une communauté composée essentiellement de catholiques, —tendance charismatique chrétien ouvrier —, qui sont allés chez lui pour prier…. Et, puis, ils ont réalisé un bingo dont le bénéfice a permis à la famille de Job de payer le loyer et de réaliser des commissions. C’est un des membres de cette branche du réseau, appartenant à la fois à la cellule de crise et aux affaires sociales de la communauté, qui a envoyé Job au « Dr. Cristiano ».
. Nous nous sommes donc rencontrés, moyennant un entretien par semaine, pendant l’été 2005. On convient que le prix des entretiens sera établi lorsque Job aura repris son activité. Désormais, j’étudie le prix des consultations en prenant en compte la situation sociale du sujet. Cela se fait au cas par cas.
. II La configuration du symptôme : entre acting out et passage à l’acte
. Primo, quel statut donner à ce que Job appelle « l’accident » ? Secundo : comment faire en sorte qu’il ne reste pas collé à cet « accident » ? Telles ont été les questions de départ. Le fait qu’il ait été d’accord de venir parler davantage de son « projet », — mettre l’accent plutôt dans le fait d’avoir une fermette au lieu de remuer « l’accident » —, laissait dès lors une marge de manœuvre à l’égard du transfert. Après coup, ce qu’il appelait le « projet » se dévoila, en effet, comme étant un remaniement de son lien au travail.
. Job ne travaille plus depuis deux mois. Il est angoissé et impuissant à l’égard du fait qu’il doit attendre pour reprendre son boulot. Alors, « je pense tout temps », dit-il « il faut que je reprenne mon travail ». Par moments, dit-il, « j’écoute le bruit du tir. Mon médecin m’a dis que ce normal ça ». L’impuissance prendra plus de consistance lors que sa femme doublera ses heures de ménage. Il la voit seulement les fins de semaine. En ce qui concerne « l’accident » Job ne se plaint pas. Après 3 entretiens il ne s’installe plus dans la position de victime. Alfredo Zenoni m’a alors fait remarquer que ce sujet vient me voir pour trouver une orientation à sa vie. Dès lors, il me semble que la source d’angoisse de Job serait plutôt la passivité en forme d’impuissance, que l’inertie. Job passe ainsi son troisième mois à réaliser des examens de santé. Il doit mettre une prothèse provisoire avant d’avoir un autre œil d’ici six mois.
. C’est alors que j’introduis une distinction entre le fait de commencer à travailler et celui d’avoir de bonnes conditions pour réaliser ce travail. Il en ressort la nécessité d’apprendre à parler correctement le français. Job s’engage alors dans un cours de langue. D’autre part, son réseau de contacts s’est défait. « Avant, dit-il, les gens me cherchaient pour me proposer du boulot. J’avais deux, trois propositions…. Mon téléphone sonnait tout temps. Maintenant, un tas des gens [des patrons] ont pris de la distance. » Je lui ai dit que le fait que la prothèse de l’œil ne soit pas encore en place accentuait la difficulté des contacts. Lorsqu’il vient à la cinquième séance, il a une casquette. Inclinée du côté gauche, la casquette cache le front, masquant un peu l’absence de l’œil. Il établit alors d’autres contacts avec d’autres patrons dit-il. On lui propose ainsi deux chantiers. Aussitôt, il prend les deux chantiers ayant réorganisé son équipe. Ainsi, Job reprend son travail. En fait, il s’agit d’une très grande entreprise du bâtiment qui engage une deuxième entreprise qui à son tour délègue l’essentiel du service à l’équipe de Job.
. En ce qui concerne Job, il est ravi. « Maintenant, je dois me placer autrement pour faire un mur. Il faut que je place ma tête comme ça (et il fait le geste) pour pouvoir voir des angles dont la perte de cet œil m’a privé. Il n’y a presque rien à changer dans la façon de faire mon travail. C’est mieux maintenant ! Je vois mieux ! » Job manque des entretiens ou me téléphone pour changer l’horaire car il est dans le chantier et « la masse coule ! Docteur ! ». Il revient à la séance suivante « mon patron flamand Joseph m’a dit que j’ai sais faire, que je fais très bien. Il m’a dit que j’ai un savoir-faire ». Il me semble qu’on peut supposer que le « savoir-faire » de Job, en l’occurrence le plâtre, est une indication de la place qu’il occupe. Et, puis, le fait d’avoir entendu cela dans une autre langue que la sienne contribue à lui assigner cette place.
. Job et son équipe terminent les deux chantiers. Et « le grand patron », — c’est moi qui emploie ce terme —, propose à Job un troisième chantier pour après les grandes vacances d’été. Job encaisse le payement d’un des deux chantiers, — évidemment le plus petit des deux—, « le grand chantier » dont le montant est significatif, il est censé en recevoir le payement après les congés du bâtiment. Il n’a pas assez d’argent pour régler ses ouvriers. Impuissant, Job est obligé de réduire son équipe de travail car il ne peut pas payer tout le monde. Il veut aussi me payer. Je lui dis que je peux attendre. Ainsi, il organise les dépenses de sa famille.
. Job continue à prendre des chantiers en plein congé du bâtiment. Il ne vient pas à un entretien. Il me téléphone pour prévenir en disant : « Je suis à Namur. Et, je commence à battre la masse [le plâtre] ». Au cours de cette semaine, Job met cinq personnes dans une voiture pour revenir sur Bruxelles. La police l’arrête. Ils sont amenés au commissariat, menottés. Un policier dit alors à Job « Tu ne peux pas mettre cinq personnes dans une voiture. Et en plus des illégaux. » Job lui répond »Je m’en fous » en donnant un coup au policier avec son thorax. Résultat : deux personnes sont rapatriées ; deux autres sont libérées car leurs papiers sont en ordre ; quant à Job, il reste trois jours en prison. Il en fut libéré à cause du processus d’indemnisation, — la perte de l’œil—qui court auprès de l’Etat belge. Pendant ces trois jours de prison Job relate « J’ai pensé beaucoup à vous. Je n’aurais pas du faire cela. Comment je peux faire autrement ? Avant, ce n’était pas comme ça ! »
. Il a fallu attendre la séance suivante pour pouvoir reprendre avec lui : « Est-ce que vous vous en foutiez vraiment ? » ai-je dit. Job répond que non ; qu’il ne sait pas faire autre chose lorsque « a coisa sobe em mim » . Je lui ai dit « votre projet peut aller de l’avant avec quatre, trois personnes… ». Job fait une pause dans ses travaux de bâtiment pour essayer de récupérer l’argent qu’on lui doit. Là, Job commence à remanier, dirai-je, de façon significative ses liens de travail. « George », son autre « patron flamand », ne peut pas honorer le montant du grand chantier. Job organise alors une réunion avec les ouvriers que se sont engagés avec lui et George. Deux des personnes qui travaient avec lui n’ont plus d’habitation. Job les héberge pendant un mois chez lui. « Je ne ferme pas mon téléphone et je réponds aux gens. Samedi, une des personnes qui travaillait avec moi est venue à la maison. Il été grossier en m’agressant verbalement. Je n’ai pas perdu la tête, même si ma femme et ma fille ont entendu des choses très désagréables. Trois jours après il est venu pour s’excuser… ».
. Job essaie aussi d’avoir la concession d’un resto. La patron de sa femme, « Antonio », voulait avant « l ‘accident » lui octroyer le permis pour gérer un resto. J’interviens en lui disant « peut-être ça serait un bon mariage ». Job rit. La séance suivante il dit qu’Antonio a peur depuis les derniers événements. Mais Job ne lâche pas prise. Il insiste auprès de George, sans succès, pour recevoir le montant dû. Je lui dit alors « Mais ce George a pris la fuite avec son cheval en vous laissant avec des dragons !, des chimères !, des requins ! ». Job rit encore d’avantage. Et, puis j’ajoute encore en français « vous êtes là parmi tous ces dragons, ces requins. Comment faites-vous ? » « Ah ! doutor ! Eu sou um barquinho pequeno que navega em ziguezague entre todos estes tubarões…. » .
. Job disparaîtra pendant un mois. Il revient en disant que sa vie est un tourbillon car George ne le règle pas ; néanmoins, il a trouvé un nouvel associé : « Antonio II ». « Maintenant, on me respecte plus. Antonio II est légal. On travaille seuil nous deux . On nous paye chaque quinze jours. Le patron est très content. On a du boulot pour un an… ». En l’occurrence, Job me règle la moitié des séances qu’il me doit. Il viendra, désormais, un dernier entretien avant de me quitter. Job à cette occasion était habité d’une certaine tristesse. Depuis son séjour en prison, Job prenait soin de ne plus sortir avec les habits qu’il utilisait sur le chantier. Ce jour-là, il est arrivé sans aucune trace de plâtre. Il avait de nouvelles chaussures blanches.
. Après coup, je dirais que le travail avec Job fut de moduler son angoisse en essayant de le mettre un petit peu à l’abri de la misère d’être maître-de-chantier. La solution momentanée fut de réduire son équipe de plafonneurs en s’incluant lui-même en tant qu’un parmi d’autres dans une série : soit de façon imaginaire avec les requins, soit de façon plus symbolique lors du « partenariat » avec « Antonio II ». Ce qui pose des problèmes pour Job c’est l’envie d’embrasser des chantiers sans limiter leur surfaces.
. Il me semble qu’il y a eu un certain remaniement au niveau du symptôme. On voit cela davantage dans les journées du Cpct —, Centre psychanalytique de consultations et traitement —, ou dans la Conversation de Barcelona . Il y a eu une réduction de son champ de travail pour Job. Il n’occupe pour l’instant plus la place de maître de chantier mais celle d’associé d’ « Antonio II ». On pourrait dire qu’il est moins exposé à l’inflation de vouloir être maître entrepreneur. En étant associé à « Antonio II », Job, attend ainsi une plus grande compatibilité avec le lien social. Il me semble que Job se trouve soulagé de la précarité que lui octroyait la position de maître de chantier. En l’occurrence, il a pu prendre une place d’ouvrier plafonneur. Ainsi, il est à l’abri des éventuels ravages. Cela lui permet de continuer son chemin en attendant qu’on lui donne la « la dite permission officielle » pour travailler en Belgique.
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